Incipit : « Au début de ce siècle, Cadenabbia, sur le lac de Côme, était au mois de septembre une villégiature à la mode. Sa vogue s'expliquait sans peine : la beauté presque excessive du lac aux contours sinueux, encadré de montagnes, les rives parées de villages jaune d’or et de villas de style classique parmi les cyprès, et la proximité, au bout du lac, de routes reliant l’Italie à toutes les capitales de l’ouest et du centre de l’Europe. Pourtant Cadenabbia était difficile d’accès, ce qui ajoutait encore à son charme ; sur de longues distances, ce rivage enchanteur était totalement dépourvu de grandes routes. On parvenait à Cadenabbia par un petit vapeur qui, partant de Côme, zigzaguait sur le lac, au cours d’un voyage d’une incroyable lenteur. L’impression qu’on éprouvait en arrivant était extraordinaire. Comme il ne passait jamais de véhicules, on ne percevait d’autre bruit que les voix humaines, le claquement de sabots des paysannes et le clapotis des vagues. On entendait des voix soupirer : « Quelle paix délicieuse ! Que ce calme est exquis ! »
Dans le plaisant tableau qui s’offrait aux yeux pendant la saison, les toilettes féminines dominaient. En l’année 1906, les femmes portaient de longues jupes qui leur moulaient les hanches et rasaient le sol ; les tailles fines étaient serrées dans d’étroites ceintures, les bustes pleins et les corsages très ornementés. La mode d’été exigeait aussi le port de volumineux voiles de mousseline jetés sur les chapeaux à larges bords et flottant de là sur les épaules jusqu’à la taille ou même au-dessous. Une telle profusion de parures faisait de chaque femme une sorte de divinité, et une divinité suppose toujours un culte. L’atmosphère sociale de cette époque était particulièrement imprégnée de féminité. »