Extrait de Où t'en vas-tu ? (pages 102-103)

« Voilà bien du laisser-aller », dit-elle, et, après l'avoir soufflée, elle déposa la bougie dans le couloir.
« Madame a-t-elle déjà joué son morceau ?
– Vous ne m'avez donc pas écoutée ? », fit-elle, et, pianotant sur le pilier, elle laissait voir son bras blanc comme neige. Dans la faible clarté, son obi à motifs turcs ressortait vaguement. Et la boucle de métal qui servait à en arrêter la lanière brillait.
« Pourquoi faut-il qu’elle reste si indéfiniment jeune ? », se demanda Kenji.
« Ah, c’était cela. Aussi, pendant que j’étais à somnoler, me disais-je que j’entendais quelque chose de bien agréable. Tout le monde est-il encore là ?
– Ceux qui avaient des enfants avec eux sont déjà partis, mais tous ceux de votre groupe sont encore là. Allez, venez donc, il y aura sûrement une discussion intéressante.
– Pour ce qui est du professeur et de Minoura, ils ne disent que des choses vermoulues », fit Kenji qui se leva en titubant.
Resserrant d’une main mal assurée son obi qui s’était distendu et rajustant le devant de son kimono, il passa la porte. Une odeur d’eau de Cologne vint chatouiller ses narines. L’haleine alcoolisée de Kenji, au mépris de toute convenance, effleurait le visage de Madame Katsurada. Il marcha sans hâte, silencieux, dans la pénombre du couloir.
Lui revint à l’esprit le moment où, cet été-là, ayant surpris le son du piano, il avait en son for intérieur esquissé des chimères. Il se souvint comment, lors d’une discussion à propos d’un roman, elle lui avait dit : « C’est lorsqu’on est encore célibataire que tout se joue dans la vie », et l’avait regardé avec des yeux légèrement humides. La voir fière de sa beauté, même devant O-Tsuru ou Chiyo, lui faisait éprouver une sollicitude douloureuse. Et comme il se faisait ces réflexions, le visage de cendre du professeur vint subitement se présenter à ses yeux.
Il se dit qu’il était le favori de Madame Katsurada, qu’il était vainqueur. Alors des imaginations puériles, aussi débordantes que privées de fondement, s’élevèrent en lui pêle-mêle.
Et pourtant, longer le couloir ne dura qu’une minute, une pauvre minute durant laquelle, telles des étincelles, ces fantaisies surgirent avant de s’évanouir.
Quand il ouvrit la porte coulissante, il n’y avait plus que quatre personnes assises autour des vestiges du festin.
« Il fait quelque peu étouffant, aujourd’hui », dit Madame Katsurada, son visage rougi, fronçant le sourcil.