« (...) Voyez-vous, je ne suis qu'un pauvre gars, un type à qui l’on a donné le blessant surnom de Nossori l’abruti. Mais en vérité, Votre Excellence, je ne suis pas un mauvais ouvrier. Je sais bien que je suis bête, que l’on se moque de moi. Je manque peut-être d’audace, mais je ne mens pas, vous savez, quand je vous dis que je m’y connais en menuiserie. J’ai commencé à apprendre le style Ôsumi quand j’étais tout petit et je connais aussi les styles Gotô et Tatekawa. Laissez-moi faire, vous verrez. Laissez-moi construire la pagode. Je vous en prie. C’est pour cela que je suis venu. J’ai appris il y a quelques jours que maître Genta de Kawagoe vous avait soumis son devis. Depuis, je ne dors plus. Votre Excellence, construire une pagode, c’est une occasion qui ne se présente qu’une fois par siècle, qu’une fois dans une vie. Je ne voudrais pas voler le travail de mon bienfaiteur. Mais si vous saviez comme j’envie les gens intelligents ! Maître Genta va réaliser le projet de sa vie. Son nom passera superbement à la postérité. Ah ! comme je l’envie ! C’est pour cela même que vit un charpentier. Quant à moi, je pense que burin et herminette en main, je ne le cède à personne, que ce soit maître Genta ou quiconque d’autre, quand bien même le hasard ferait que mon fil à tracer marque des courbes. Pourtant, tout au long de l’année, je ne fais que réparer les cloisons des baraques, je n’obtiens que des menus travaux, construire une écurie ou poser un égout. Le Ciel ne m’a pas fait don d’intelligence, que puis-je y faire ? J’essaie de me contenter de mon sort, mais, à chaque fois que je vois des incapables construire des palais ou ériger des temples, mon oeil expert ne peut qu’être pris de pitié pour les pauvres gens qui ont ordonné ces travaux et, dans ces moments-là, je pleure intérieurement mon infortune. Vous savez, j’en arrive parfois à haïr ceux qui n’ont que l’intelligence sans aucun talent. Et comme j’envie maître Genta, Votre Excellence, lui qui possède une rare intelligence doublée d’une technique exceptionnelle. Il va entreprendre ce projet si enviable ! Je suis si… Il est tellement… Oh, que je suis misérable ! (...) » (Pages 178-179)