Compassion pour le lion, pages 9-10: « Il est étrange, écrit Alfred Polgar dans une de ses critiques, de voir qui va donner la préférence à tel ou tel animal. Lotte, une si délicate petite fille, est attirée par les lions, les fauves au large nez. Une attirance qui durera toute sa vie, comme cela devait se révéler par la suite.
Polgar n'a pas approfondi son observation autant qu’il en avait coutume. Pourtant, il n’avait plus qu’un pas à faire pour atteindre au plus haut degré de généralisation : combien il est étrange après tout qu’un être humain donne la préférence à un animal.
Lotte, cette petite fille si délicate, lui aurait donné une excellente occasion de renchérir ainsi. Elle était en effet l’héroïne d’une anecdote où elle apparaissait fondant en larmes devant un tableau intitulé Persécution des chrétiens sous Néron ; lorsqu’on lui demanda la cause de son chagrin, elle désigna un lion solitaire et morose accroupi dans un coin du tableau, en s’écriant avec douleur : « Oh papa, regarde, le pauvre lion n’a pas de chrétien ! »
Tant l’injustice peut être révoltante lorsque la distribution des biens est considérée avec le recul qui convient ; comme celui de l’enfant qui est touchée de compassion pour les lions, au nom de leur droit abstrait à un repas de chrétiens. Tous les lions sont égaux, comment pourrait-il en être autrement, et du moment qu’un d’entre eux a eu des chrétiens à manger, les autres devraient en avoir aussi. »