Le feu follet (page 130)


On tenait en effet, dans les campagnes, les feux follets pour des âmes errantes, manifestations de certains morts redoutés. On les rencontre habituellement dans des lieux désolés, aux alentours des cimetières, aux lisières des forêts, dans les landes, à proximité des marais, mais aussi parfois proches des rivières, pour peu que dans leur lit majeur subsistent des bras morts ou des fondrières (7) : en Normandie c'était un « esprit malfaiteur, qui, comme un fanal de l’enfer, éclaire le voyageur égaré, et l’entraîne à sa suite et cause sa mort » ; en Bourbonnais, des « âmes damnées qui cherchent à entraîner les voyageurs dans des précipices ou dans l’eau (8) »… En Nivernais, certains pensaient qu’il s’agissait des âmes d’enfants morts sans baptême : elles chercheraient à se poser sur l’épaule du voyageur isolé, à s’en faire une sorte de parrain qui, au prix de sa vie, les mènerait au baptême. On peut, dit-on, les tromper en jetant une pierre ou tout autre objet dans l’eau, et elles y plongent avec lui ; autrement, c’est le voyageur lui-même qu’elles amènent à s’y précipiter, affolé (9).
Surtout, ne pas prendre la fuite, car selon Amélie Bosquet, « se sauver, en apercevant un feu follet, est un moyen infaillible de l’attirer sur ses pas ; pour éviter les dangers qui résultent de cette apparition, il faut se coucher la face contre terre, et invoquer le secours de Dieu (10) ». Rien donc de surprenant à ce que la Fadette heurte Landry « assis par terre dans la brune » : il ne s’est pas enfui, crainte d’un danger plus grand encore, mais pour ne pas le rendre ridicule la romancière n’a vraisemblablement pu se résoudre à jeter son personnage face contre terre.

(7). Ce qui est le cas sur les bords de l’Indre : Mouny-Robin, p. 256.
(8). B. Lewis (Louis Bâtissier), Physiologie du Bourbonnais, 1842, p. 157 ; Alfred de Nore (Adolphe de Chesnel), Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, Parisse frères, 1846, p. 267 (à propos des Faulaux de Normandie).
(9). Paul Sébillot, Le Folk-lore de France, t. 2, La mer et les eaux douces, Paris, rééd. Maisonneuve et Laroche, 1968, p. 420.
(10). Amélie Bosquet, La Normandie romanesque et merveilleuse, 1845, p. 246.