"Rouges sont les hibiscus, et rouge l'étendard de la ville de Corleone dont l'écarlate teinte le drapeau sicilien avec le jaune de la ville de Palerme, et rouges les géraniums couleur sang, et rouge aussi le sang des hommes de loi qui coule et bouillonne par la volonté d'autres hommes se disant d'honneur.
Nombreux sont ceux qui tombent au champ d'honneur de la justice et de la loi.
Ils l'acceptent, une fois leur choix fait, une fois bien pesée la décision de servir, envers et contre tous, ennemis et faux amis.
Ils savent le prix à payer au Minotaure pour tenter d'en venir à bout ou du moins de l'essouffler un peu, dans le brider dans sa voracité d'or et de sang.
Ils tombent. Mais restent droit. Et d'autres viennent après eux, qui tous ne tomberont pas, mais qui ne le savent pas non plus. Lucides et braves, parfois ils en plaisantent. Et une façon comme une autre de conjurer le sort, c'est d'en rire. Falcone ironise sur sa propre fin et ses collègues en font autant. Ils se font marcher les uns les autres. Surtout Paolo Borsellino, l'ami de toujours et le confrère de tous.
Paolo un jour débarque chez Falcone et dit : "Giovanni, tu dois me donner immédiatement la combinaison du coffre-fort de ton bureau". Falcone en demande la raison. "Quand ils te tueront, comment ferons-nous pour l'ouvrir ?", s'exclame Borsellino en riant. Parfois, retranchés dans leurs bureaux du Palais de Justice de Palerme, les magistrats du pool antimafia rédigent en pouffant leurs propres notices nécrologiquesà l'intention du Giornale di Sicilia.
En attendant, le tribut qu'exige le Minotaure est lourd." (p. 25-26)